Les modernisations théâtrales se suivent et ne se ressemblent pas.
Il y a trois mois, l’Opéra-comique proposait avec les Arts florissants une Platée de Rameau (1745-1749) transposée dans le milieu de la mode parisienne, rue Cambon. Le marais de la Grenouille magnifique y devenait tout simplement le Marais ; la nymphe ridicule était jouée par un travesti en serviette, le museau verdi par un masque à l’argile et les pieds pataugeant dans une pédicure. Jupiter devenait Karl Lagerfeld (il était si divin et ubiquite, que le soir où j’y étais, il était aussi dans la salle !) et ses métamorphoses étaient très astucieusement rendues par un défilé de mannequins vêtus de costumes de hiboux, âne et nuage très seyants et parfaitement crédibles par rapport aux outrances de la haute couture. Le clou de l’humiliation de Platée étant atteint lorsqu’elle vient se pavaner en robe de mariée, croyant épouser le dieu des dieux, ce qui clôturait le spectacle et le défilé (des vanités) de la soirée. Le miroir que Rameau tend avec cette pièce satirique au public (tout aussi mal attifé que les acteurs réaliste sur scène : on ne s’habille plus pour aller à l’opéra, ou alors on se déguise !) se retrouvait sur les murs du décor, ce qui devait ravir les spectateurs mal placés (ah ! les piliers de la salle ! ces places sont pourtant encore chères…) qui pouvaient ainsi mieux suivre l’action.
Bref, de tableau en tableau, le spectacle était de mieux en mieux compris par un public pourtant à mille lieux de cette farce mythologique parce que le texte était intelligemment éclairé par la mise en scène de Robert Carsen et que rares étaient les vers qui ne trouvaient pas leur correspondance avec notre modernité. C’était en outre chatoyant et cela allait bien avec l’engouement pour le « bling-bling ».
Il en est tout autrement avec le Cyrano de Bergerac de Dominique Pitoiset. Pitoyable et qui laisse pantois. Philippe Torreton n’est en rien responsable puisqu’il est absolument magnifique dans le rôle principal, tout en intonations nouvelles et inédites (le silence à la fin permet d’entendre jusqu’à la Swatch de son voisin). Mais justement on ne voit que lui tellement le texte est réduit à ses scènes de bravoure.
Comment pourrait-il en être autrement quand les contraintes budgétaires obligent à restreindre le nombre d’acteurs à dix pour jouer les cinquante rôles (et autres groupes) du texte ? Du coup, les scènes de foules deviennent complètement obscures d’autant – et c’est là que je veux en venir – la transposition par la scénographe Kattrin Michel dans une salle de détente (un jukebox à chansons anglophones : Roxâââne !) d’un hôpital qu’on imagine psychiatrique (chaises blanches et tables en formica) n’arrange rien. Sous prétexte que « c’est une affaire de fous » (citation de Daniel Loayza dans le programme), bien sûr, Cyrano se promène en marcel ou en survêt’ pendant les trois premiers actes. Soit. Mais pourquoi un de Guiche en pourpoint et collet de dentelle à Arras et un Cyrano en haut-de-chausses pour mourir (plus Daniel Sorano, tu meurs !) avant d’être rhabillé en marcel façon mise au tombeau ? Certaines trouvailles sont certes bien vues : la minerve Espagnol malade en guise de fraise, la scène du balcon sur Skype… Mais heureusement que les spectateurs connaissent le texte par cœur (« à la fin de l’envoi, je touche » est murmuré à tous les étages du parterre au paradis) : comment un public non préparé pourrait-il comprendre ce joyeux salmigondis, érudit en diable, devenu ici triste à mourir ? Le palimpseste est devenu illisible et l’illusion comique ne peut plus jouer. À ce compte, la pièce ne sera bientôt plus jouable ni jouée par désaffection des spectateurs (au profit de Shakespeare, bien sûr, tellement plus fashionable, même sur tous les tons). Molière le disait : il faut tout l’art des comédiens pour faire vivre le théâtre. Il n’avait pas envisagé l’hypothèse où les acteurs refusent d’entretenir l’illusion et rabaissent le texte à une vulgarité de saison (doigts d’honneur et grattements d’entre-jambe inclus, sans oublier l’attaque facile contre la vieille chanson française au lieu d’exalter la poésie touchante du fifre paysan voulue par Rostand). Jusque dans le détail grossier et d’une conjugaison consternante : « En sorte que je pus, sans attirer les yeux,/ Quitter les Espagnols » devient « en sorte que je pue » accompagné du reniflement de rigueur ! La fantaisie et le brillant, l’éthéré et le drôle s’évanouissent, et le comble, pour cette pièce, c’est que disparait avec eux… le panache !
Compte rendu critique par Noémie Courtès
Platée :
vidéos, photos et dossier pédagogique
Cyrano de Bergerac : jusqu’à fin juin au Théâtre de l’Odéon.
Informations et hyperliens
Dossier pédagogique en images
Il y a trois mois, l’Opéra-comique proposait avec les Arts florissants une Platée de Rameau (1745-1749) transposée dans le milieu de la mode parisienne, rue Cambon. Le marais de la Grenouille magnifique y devenait tout simplement le Marais ; la nymphe ridicule était jouée par un travesti en serviette, le museau verdi par un masque à l’argile et les pieds pataugeant dans une pédicure. Jupiter devenait Karl Lagerfeld (il était si divin et ubiquite, que le soir où j’y étais, il était aussi dans la salle !) et ses métamorphoses étaient très astucieusement rendues par un défilé de mannequins vêtus de costumes de hiboux, âne et nuage très seyants et parfaitement crédibles par rapport aux outrances de la haute couture. Le clou de l’humiliation de Platée étant atteint lorsqu’elle vient se pavaner en robe de mariée, croyant épouser le dieu des dieux, ce qui clôturait le spectacle et le défilé (des vanités) de la soirée. Le miroir que Rameau tend avec cette pièce satirique au public (tout aussi mal attifé que les acteurs réaliste sur scène : on ne s’habille plus pour aller à l’opéra, ou alors on se déguise !) se retrouvait sur les murs du décor, ce qui devait ravir les spectateurs mal placés (ah ! les piliers de la salle ! ces places sont pourtant encore chères…) qui pouvaient ainsi mieux suivre l’action.
Bref, de tableau en tableau, le spectacle était de mieux en mieux compris par un public pourtant à mille lieux de cette farce mythologique parce que le texte était intelligemment éclairé par la mise en scène de Robert Carsen et que rares étaient les vers qui ne trouvaient pas leur correspondance avec notre modernité. C’était en outre chatoyant et cela allait bien avec l’engouement pour le « bling-bling ».
Il en est tout autrement avec le Cyrano de Bergerac de Dominique Pitoiset. Pitoyable et qui laisse pantois. Philippe Torreton n’est en rien responsable puisqu’il est absolument magnifique dans le rôle principal, tout en intonations nouvelles et inédites (le silence à la fin permet d’entendre jusqu’à la Swatch de son voisin). Mais justement on ne voit que lui tellement le texte est réduit à ses scènes de bravoure.
Comment pourrait-il en être autrement quand les contraintes budgétaires obligent à restreindre le nombre d’acteurs à dix pour jouer les cinquante rôles (et autres groupes) du texte ? Du coup, les scènes de foules deviennent complètement obscures d’autant – et c’est là que je veux en venir – la transposition par la scénographe Kattrin Michel dans une salle de détente (un jukebox à chansons anglophones : Roxâââne !) d’un hôpital qu’on imagine psychiatrique (chaises blanches et tables en formica) n’arrange rien. Sous prétexte que « c’est une affaire de fous » (citation de Daniel Loayza dans le programme), bien sûr, Cyrano se promène en marcel ou en survêt’ pendant les trois premiers actes. Soit. Mais pourquoi un de Guiche en pourpoint et collet de dentelle à Arras et un Cyrano en haut-de-chausses pour mourir (plus Daniel Sorano, tu meurs !) avant d’être rhabillé en marcel façon mise au tombeau ? Certaines trouvailles sont certes bien vues : la minerve Espagnol malade en guise de fraise, la scène du balcon sur Skype… Mais heureusement que les spectateurs connaissent le texte par cœur (« à la fin de l’envoi, je touche » est murmuré à tous les étages du parterre au paradis) : comment un public non préparé pourrait-il comprendre ce joyeux salmigondis, érudit en diable, devenu ici triste à mourir ? Le palimpseste est devenu illisible et l’illusion comique ne peut plus jouer. À ce compte, la pièce ne sera bientôt plus jouable ni jouée par désaffection des spectateurs (au profit de Shakespeare, bien sûr, tellement plus fashionable, même sur tous les tons). Molière le disait : il faut tout l’art des comédiens pour faire vivre le théâtre. Il n’avait pas envisagé l’hypothèse où les acteurs refusent d’entretenir l’illusion et rabaissent le texte à une vulgarité de saison (doigts d’honneur et grattements d’entre-jambe inclus, sans oublier l’attaque facile contre la vieille chanson française au lieu d’exalter la poésie touchante du fifre paysan voulue par Rostand). Jusque dans le détail grossier et d’une conjugaison consternante : « En sorte que je pus, sans attirer les yeux,/ Quitter les Espagnols » devient « en sorte que je pue » accompagné du reniflement de rigueur ! La fantaisie et le brillant, l’éthéré et le drôle s’évanouissent, et le comble, pour cette pièce, c’est que disparait avec eux… le panache !
Compte rendu critique par Noémie Courtès
Platée :
vidéos, photos et dossier pédagogique
Cyrano de Bergerac : jusqu’à fin juin au Théâtre de l’Odéon.
Informations et hyperliens
Dossier pédagogique en images