Descriptif :
Bon-ton burlesquers (Wikimedia commons)
Dans Mystères des théâtres publiés en 1853, le comte Charles de Villedeuil faisait état des représentations de l’année 1851, non sans une certaine ironie :
« Il a été exécuté à grand renfort de grosses caisses et de saxophones 58 opéras, opéras comiques et olla-podrida dite Ode symphonique ; […] il a été, contrairement aux règles du bon sens, déclamé 24 tragédies : 14 au Théâtre-Français et 10 à l’Odéon. Mais c’est avec satisfaction que j’annoncerai que pas une seule de ces tragédies n’est nouvelle. […] Il a été hurlé, pendant l’année 1851, 95 drames, dont 35 nouveaux […]. Tout le reste de la végétation dramatique de 1851 n’aboutit qu’à des vaudevilles […] », cette « denrée qui abonde sur la place » parce qu’elle est « peu cher à monter et très facile à sous-tacher » et conduit les auteurs et directeurs de théâtre à « en fai[re] beaucoup », à « en vend[re] beaucoup » et à en « use[r] énormément tant à Paris qu’en Province » (1).
Par ces propos railleurs, Charles de Villedeuil souligne le triomphe d’une production théâtrale qu’il compare à des produits que l’on exploite abondamment. Il montre ainsi le lien qui existe entre production de spectacles et commercialisation de la société au XIXe siècle. Le théâtre semble avoir laissé place au « grand spectacle » seul (la nouveauté des pièces portées à l’affiche s’amoindrissant au profit d’une politique de reprises que l’on truffe de nouveaux « clous » scéniques afin de plaire au spectateur) et être devenu un bien de consommation à part entière, qui s’inscrit dans un cadre capitaliste où domine un souci de rentabilité et de productivité (vendre beaucoup et à moindre frais). Les pièces nouvelles et les reprises se succèdent de manière pléthorique parce que les coûts de productions sont moindres mais aussi parce qu’il faut satisfaire l’insatiabilité d’un public en quête de plaisirs et d’émotions.
Ce phénomène est visible dès la première moitié du siècle avec par exemple les féeries et les mélodrames qui deviennent au cours du siècle des sortes de « superproductions » et qui sont comparables, dans une certaine mesure, aux spectacles de cour du XVIIIe siècle visant à impressionner et enchanter la Cour. Ces spectacles fastueux et spectaculaires parce que disposant d’un budget conséquent pour la mise en scène (réalisation des décors, des costumes, des effets spéciaux et ayant recours à de nombreux danseurs, chanteurs, acteurs et figurants) associaient déjà en leur temps entreprise théâtrale et mercantilisme, les productions stimulant l’économie parisienne par le biais des ateliers des Menus Plaisirs.
La commercialisation de la société à travers le spectacle commence ainsi dès le XVIIIe siècle. Les théâtres secondaires, plus fragiles parce que soumis à la concurrence et non subventionnés par l’État, semblent avoir aussi participé de manière active à celle-ci, en stimulant les ventes et en inventant de nouveaux « produits » théâtraux sans doute plus en adéquation avec les attentes du public. Ils ont dès lors su innover en matière de mise en scène en s’adaptant à la demande et en s’écartant des traditions. Le développement et l’utilisation des techniques, le recours à de nouveaux espaces où se mêlent consommation, recherche de l’émotion, divertissement et plaisir esthétique ont aussi contribué à cette industrialisation du spectacle qui s’accentue de manière constante de la Révolution au Second Empire comme en témoignent l’essor du vaudeville, du mélodrame, de la féerie, des cafés-concerts, des revues, ou des « pièces à femmes » qui, tout en satisfaisant des objectifs de rentabilité économique, savent à leur manière traiter des modes, des idées, et des crises politiques et sociales de leur temps.
Les spectacles apparaissent ainsi à la croisée entre histoire culturelle et culture matérielle, tenant à la fois du loisir, de l’insertion dans le champ culturel, social et politique, et du mercantilisme. Ce numéro spécial s’attachera donc aux rapports existant entre spectacles, commerce, société, politique, et culture matérielle entre 1715, début de la Régence, période marquée par un accroissement des libertés, et 1864, loi proclamant la liberté de l’industrie théâtrale, et tâchera de montrer comment se manifestent ceux-ci à travers les mises en scène et les productions propres à chaque époque.
(1) Charles de Villedeuil, « Introduction », Mystère des théâtres, 1852, par Edmond et Jules de Goncourt, Cornélius Holff, [et Charles de Villedeuil], Paris, Librairie Nouvelle, 1853, p. 9-10 et p.8.
« Il a été exécuté à grand renfort de grosses caisses et de saxophones 58 opéras, opéras comiques et olla-podrida dite Ode symphonique ; […] il a été, contrairement aux règles du bon sens, déclamé 24 tragédies : 14 au Théâtre-Français et 10 à l’Odéon. Mais c’est avec satisfaction que j’annoncerai que pas une seule de ces tragédies n’est nouvelle. […] Il a été hurlé, pendant l’année 1851, 95 drames, dont 35 nouveaux […]. Tout le reste de la végétation dramatique de 1851 n’aboutit qu’à des vaudevilles […] », cette « denrée qui abonde sur la place » parce qu’elle est « peu cher à monter et très facile à sous-tacher » et conduit les auteurs et directeurs de théâtre à « en fai[re] beaucoup », à « en vend[re] beaucoup » et à en « use[r] énormément tant à Paris qu’en Province » (1).
Par ces propos railleurs, Charles de Villedeuil souligne le triomphe d’une production théâtrale qu’il compare à des produits que l’on exploite abondamment. Il montre ainsi le lien qui existe entre production de spectacles et commercialisation de la société au XIXe siècle. Le théâtre semble avoir laissé place au « grand spectacle » seul (la nouveauté des pièces portées à l’affiche s’amoindrissant au profit d’une politique de reprises que l’on truffe de nouveaux « clous » scéniques afin de plaire au spectateur) et être devenu un bien de consommation à part entière, qui s’inscrit dans un cadre capitaliste où domine un souci de rentabilité et de productivité (vendre beaucoup et à moindre frais). Les pièces nouvelles et les reprises se succèdent de manière pléthorique parce que les coûts de productions sont moindres mais aussi parce qu’il faut satisfaire l’insatiabilité d’un public en quête de plaisirs et d’émotions.
Ce phénomène est visible dès la première moitié du siècle avec par exemple les féeries et les mélodrames qui deviennent au cours du siècle des sortes de « superproductions » et qui sont comparables, dans une certaine mesure, aux spectacles de cour du XVIIIe siècle visant à impressionner et enchanter la Cour. Ces spectacles fastueux et spectaculaires parce que disposant d’un budget conséquent pour la mise en scène (réalisation des décors, des costumes, des effets spéciaux et ayant recours à de nombreux danseurs, chanteurs, acteurs et figurants) associaient déjà en leur temps entreprise théâtrale et mercantilisme, les productions stimulant l’économie parisienne par le biais des ateliers des Menus Plaisirs.
La commercialisation de la société à travers le spectacle commence ainsi dès le XVIIIe siècle. Les théâtres secondaires, plus fragiles parce que soumis à la concurrence et non subventionnés par l’État, semblent avoir aussi participé de manière active à celle-ci, en stimulant les ventes et en inventant de nouveaux « produits » théâtraux sans doute plus en adéquation avec les attentes du public. Ils ont dès lors su innover en matière de mise en scène en s’adaptant à la demande et en s’écartant des traditions. Le développement et l’utilisation des techniques, le recours à de nouveaux espaces où se mêlent consommation, recherche de l’émotion, divertissement et plaisir esthétique ont aussi contribué à cette industrialisation du spectacle qui s’accentue de manière constante de la Révolution au Second Empire comme en témoignent l’essor du vaudeville, du mélodrame, de la féerie, des cafés-concerts, des revues, ou des « pièces à femmes » qui, tout en satisfaisant des objectifs de rentabilité économique, savent à leur manière traiter des modes, des idées, et des crises politiques et sociales de leur temps.
Les spectacles apparaissent ainsi à la croisée entre histoire culturelle et culture matérielle, tenant à la fois du loisir, de l’insertion dans le champ culturel, social et politique, et du mercantilisme. Ce numéro spécial s’attachera donc aux rapports existant entre spectacles, commerce, société, politique, et culture matérielle entre 1715, début de la Régence, période marquée par un accroissement des libertés, et 1864, loi proclamant la liberté de l’industrie théâtrale, et tâchera de montrer comment se manifestent ceux-ci à travers les mises en scène et les productions propres à chaque époque.
(1) Charles de Villedeuil, « Introduction », Mystère des théâtres, 1852, par Edmond et Jules de Goncourt, Cornélius Holff, [et Charles de Villedeuil], Paris, Librairie Nouvelle, 1853, p. 9-10 et p.8.
Les thèmes envisagés sont les suivants :
1. La mise en scène, entre innovation et commercialisation (quel public pour quelle mise en scène ? la réception des théâtres « oculaires » par la critique dramatique, le grand spectacle comme moteur de réforme dramatique, le grand spectacle rime-t-il nécessairement avec théâtre de « pur divertissement » ?)
2. Les politiques du grand spectacle (politique de programmation par les directeurs de théâtre, choix des répertoires, quelle mise en scène pour les reprises ? quelle mise en scène pour les classiques ? comment s’opère le choix des costumes, des décors en fonction de la politique artistique du théâtre ? Comment s’organise le travail scénique lors des reprises ? Qui met en scène ?)
3. Les moyens du grand spectacle (régie et progrès techniques, trucages, commercialisation des machines et des techniques, brevets, coût de productions et moyens financiers).
4. Les implications sociales et politiques du grand spectacle (liens entre société, politique et grand spectacle ? la scène au service du politique ? mise en scène et revendications politiques et sociales ?)
2. Les politiques du grand spectacle (politique de programmation par les directeurs de théâtre, choix des répertoires, quelle mise en scène pour les reprises ? quelle mise en scène pour les classiques ? comment s’opère le choix des costumes, des décors en fonction de la politique artistique du théâtre ? Comment s’organise le travail scénique lors des reprises ? Qui met en scène ?)
3. Les moyens du grand spectacle (régie et progrès techniques, trucages, commercialisation des machines et des techniques, brevets, coût de productions et moyens financiers).
4. Les implications sociales et politiques du grand spectacle (liens entre société, politique et grand spectacle ? la scène au service du politique ? mise en scène et revendications politiques et sociales ?)
Envoi des propositions et date limite :
Les propositions d’article (un résumé de 300 mots) sont à envoyer à Sabine Chaouche (s.chaouche@brookes.ac.uk) et Roxane Martin (roxane.martin@unice.fr) avant le 30 septembre 2011. La remise définitive des articles (max. 6,000 mots ou 40,000 signes) est programmée pour le 30 mai 2012.