Lili, plus jeune, en stand-by. Je la vois de temps en temps. Le genre de personne qui ne peinera jamais à l’avoir, le job de ses rêves. Patronyme aux sonorités on ne peut plus adéquates pour la Champion League de l’entre soi. Un cran au-dessus du lot, là où toutes les portes s’ouvrent sur ton passage, miraculeusement. Peinarde. Sans se forcer, elle a déjà un carnet d’adresses bien rempli. Son mec bosse à la télé… une chaîne câblée. Fabrique des émissions fourrées au comiquement correct ― celles qui donnent la nausée dès que tu entends parler les éditorialistes, confits dans la graisse du parisianisme ils font en permanence de leur métier un salon de thé où ils prétendent décrypter jusqu’à l’ineffable et surtout casser du politique, de l’artiste, de l’intello, tous ceux qui veulent bien poser leur cul sur un fauteuil d’invité... ― Passe aussi le plus clair de son temps à tweeter et faire le buzz. Il trolle son alias ‘vérifié’ avec ses quatre autres pseudos… Aime ressortir ses vieux messages et retweeter de compte en compte. Maximise les followers en s’insultant copieusement. Qui plus est, un brin mégalo.
La vie, elle a quelque chose de bidonné. Médias sociaux réseaux surpuissants de l’intime dévoyé, sans recul, gonflés au bruit. Nouveau background des temps post-numériques où il faut s’exhiber circuler se faire suivre et googler sur les canaux infinis du 2.0 pour enfin se sentir exister. Audimat, royal dieu du PAF : tout le monde rêve d’être un jour à l’antenne. Télé rabougrie dans ses écrans plats géants. ― Pourtant elle m’indiffère, avec ses personnalités aux rides masquées, triple épaisseur de fond de teint pour les hommes, surdose de make-up pour les femmes, trop bien accros à leur poste. Le règne de la gérontocratie et ses algorithmes, ceux du népotisme programmé : une caste reproductible rien que pour donner de la France cette image perpétuelle. De si gros efforts pour nous la présenter tout unicolore. ―
Avoir une vie docile… N’avoir jamais à faire de boulots totalement anesthésiants. Dégradants. Être née avec la faculté de chier de la thune comme la poule aux œufs d’or, rien que pour n’avoir jamais à penser à l’avenir ? J’aurais tout donné pour. La société française ? Bien trop snob pour accepter que les fils d’ouvriers deviennent des cadres… L’existence n’est pas tellement belle, je trouve, on se fait chier avec des gens chiants. On voudrait les écarter de notre chemin mais ils nous scotchent, reviennent à la charge pour nous rappeler un peu mieux qu’ils sont salement chiants, et ils finissent par nous suivre de loin en loin…
Matt je te déteste. /
La vie, elle a quelque chose de bidonné. Médias sociaux réseaux surpuissants de l’intime dévoyé, sans recul, gonflés au bruit. Nouveau background des temps post-numériques où il faut s’exhiber circuler se faire suivre et googler sur les canaux infinis du 2.0 pour enfin se sentir exister. Audimat, royal dieu du PAF : tout le monde rêve d’être un jour à l’antenne. Télé rabougrie dans ses écrans plats géants. ― Pourtant elle m’indiffère, avec ses personnalités aux rides masquées, triple épaisseur de fond de teint pour les hommes, surdose de make-up pour les femmes, trop bien accros à leur poste. Le règne de la gérontocratie et ses algorithmes, ceux du népotisme programmé : une caste reproductible rien que pour donner de la France cette image perpétuelle. De si gros efforts pour nous la présenter tout unicolore. ―
Avoir une vie docile… N’avoir jamais à faire de boulots totalement anesthésiants. Dégradants. Être née avec la faculté de chier de la thune comme la poule aux œufs d’or, rien que pour n’avoir jamais à penser à l’avenir ? J’aurais tout donné pour. La société française ? Bien trop snob pour accepter que les fils d’ouvriers deviennent des cadres… L’existence n’est pas tellement belle, je trouve, on se fait chier avec des gens chiants. On voudrait les écarter de notre chemin mais ils nous scotchent, reviennent à la charge pour nous rappeler un peu mieux qu’ils sont salement chiants, et ils finissent par nous suivre de loin en loin…
Matt je te déteste. /
J’ai embrassé Lili. Bien sûr que je l’appellerai. J’ai remonté les marches qui menaient au métro. J’allais traverser…
Stoppée nette. /
Un pardessus noir, long.
Une chevelure brune.
Style impeccable… /
J’ai sursauté.
Encore. Prise au piège de mes hantises. J’ai secoué la tête en soupirant. Décharge d’adrénaline inutile.
Joues brûlantes à voir passer ce type, l’inconnu qui venait de me croiser sans avoir conscience de me… à quel point la douleur, lancinante, comme un coup invisible en pleine poitrine, je la sentais me transpercer. Même lorsque je ne m’y attendais pas, voilà que Matt repassait subrepticement en moi, sous mes yeux, à travers quelques morceaux de vécu. A travers d’autres que lui pourtant curieusement si semblables. ―
J’ai regardé le type s’éloigner. Et cette démarche, exactement la même, lente et assurée, même façon de tirer sur sa cigarette. Des choses confuses, des émotions remontant à la surface comme de petites bulles d’air comprimé. Eclatant comme autant de petits éclats incisifs. /
J’ai soudain entendu des pneus crisser, gros coup de klaxon mais trop tard pour réaliser que.
Je suis retombée lourdement, hébétée tandis qu’on bondissait vers moi, et qu’un cri perçant me déchirait les tympans. /
Badauds s’attroupant, giclant du bistrot, effervescence de bruits entrecoupés de phrases, lumière aveuglante de la bouche de métro.
La portière a claqué. Pas s’approchant précipitamment. Talons martelant la chaussée. Bas d’un jean. Voix de femme à moitié hystérique, affolée.
Rien de cassé ?... ― Oui attends, oui oui je te rappelle. Dans dix minutes. Je ne peux pas là… Non je te dis ! Ecoute… Non ! Bon je te raconterai ça plus tard. A tout de suite. ― Elle s’est jetée sur ma voiture, comment aurais-je pu…
Jetée ?, alors qu'elle était plantée au milieu de la rue a fait le mec qui me tenait la main. C’est ça quand on téléphone au volant…
Ecoutez je suis désolée, vraiment désolée, je ne voulais pas…
Ça va, ça va… ai-je fini par grommeler.
Vous êtes sûre ? a fait la bonne femme à moitié rassurée.
J’ai souri en grimaçant. Opération de sauvetage terminée. J’ai réussi tant bien que mal à me relever. La hanche tambourinant, les os, la chair aplatis, tout comprimés. Un côté comme rétréci mais s’élargissant en même temps. Toujours un peu sonnée. Toujours est-il, en un seul morceau. Des bagnoles bloquées commençaient à se faire entendre, impatientes de remonter la rue.
J’ai fait quelques pas. Les badauds, glissant maintenant le long du trottoir. Un fleuve reprenant sa marche interrompue, s’écoulant lentement. Reprenant le cours de son indifférence.
La femme a alors sorti une carte et me l’a tendue.
Au cas où…
Inutile.
Gardez-la, et n’hésitez pas si...
J’ai fait un geste de la tête.
Concert de klaxons, étourdissants cette fois-ci, tantôt ensemble, tantôt longs et successifs, parfois ininterrompus. La femme m’a souri gênée puis s’est résignée à rejoindre sa Porsche aux verres teintés, démarrant en trombe, fonçant vers un je ne sais où important. Phares défilant, moteurs ronronnant, éparpillement des gens, la rue reprend son rythme du soir.
Le blondinet à la barbe naissante m’observait. Sans rien dire. Coupe à la Kurt Cobain, sourire espiègle, une vieille gabardine militaire sur le dos, quelques grosses bagues aux doigts. Un casque à la main. Un peu chelou. ―
Quelque chose me disait que je l’avais déjà vu. Mais où ? Impossible de me rappeler. ―
Il s’est gratté la tête et m’a lancé :
On se boit un verre ? Ça te branche ?
Ouais peut-être, je sais pas... je devrais plutôt rentrer.
Allez a-t-il repris, je crois que t’en as besoin. T’as vraiment l’air d’une ahurie. Et puis faudrait peut-être qu’on fasse connaissance quand même a-t-il ajouté les yeux brillant de malice.
Alors je lui ai emboîté le pas.
(c) S. Chaouche/TFM 2017
Stoppée nette. /
Un pardessus noir, long.
Une chevelure brune.
Style impeccable… /
J’ai sursauté.
Encore. Prise au piège de mes hantises. J’ai secoué la tête en soupirant. Décharge d’adrénaline inutile.
Joues brûlantes à voir passer ce type, l’inconnu qui venait de me croiser sans avoir conscience de me… à quel point la douleur, lancinante, comme un coup invisible en pleine poitrine, je la sentais me transpercer. Même lorsque je ne m’y attendais pas, voilà que Matt repassait subrepticement en moi, sous mes yeux, à travers quelques morceaux de vécu. A travers d’autres que lui pourtant curieusement si semblables. ―
J’ai regardé le type s’éloigner. Et cette démarche, exactement la même, lente et assurée, même façon de tirer sur sa cigarette. Des choses confuses, des émotions remontant à la surface comme de petites bulles d’air comprimé. Eclatant comme autant de petits éclats incisifs. /
J’ai soudain entendu des pneus crisser, gros coup de klaxon mais trop tard pour réaliser que.
Je suis retombée lourdement, hébétée tandis qu’on bondissait vers moi, et qu’un cri perçant me déchirait les tympans. /
Badauds s’attroupant, giclant du bistrot, effervescence de bruits entrecoupés de phrases, lumière aveuglante de la bouche de métro.
La portière a claqué. Pas s’approchant précipitamment. Talons martelant la chaussée. Bas d’un jean. Voix de femme à moitié hystérique, affolée.
Rien de cassé ?... ― Oui attends, oui oui je te rappelle. Dans dix minutes. Je ne peux pas là… Non je te dis ! Ecoute… Non ! Bon je te raconterai ça plus tard. A tout de suite. ― Elle s’est jetée sur ma voiture, comment aurais-je pu…
Jetée ?, alors qu'elle était plantée au milieu de la rue a fait le mec qui me tenait la main. C’est ça quand on téléphone au volant…
Ecoutez je suis désolée, vraiment désolée, je ne voulais pas…
Ça va, ça va… ai-je fini par grommeler.
Vous êtes sûre ? a fait la bonne femme à moitié rassurée.
J’ai souri en grimaçant. Opération de sauvetage terminée. J’ai réussi tant bien que mal à me relever. La hanche tambourinant, les os, la chair aplatis, tout comprimés. Un côté comme rétréci mais s’élargissant en même temps. Toujours un peu sonnée. Toujours est-il, en un seul morceau. Des bagnoles bloquées commençaient à se faire entendre, impatientes de remonter la rue.
J’ai fait quelques pas. Les badauds, glissant maintenant le long du trottoir. Un fleuve reprenant sa marche interrompue, s’écoulant lentement. Reprenant le cours de son indifférence.
La femme a alors sorti une carte et me l’a tendue.
Au cas où…
Inutile.
Gardez-la, et n’hésitez pas si...
J’ai fait un geste de la tête.
Concert de klaxons, étourdissants cette fois-ci, tantôt ensemble, tantôt longs et successifs, parfois ininterrompus. La femme m’a souri gênée puis s’est résignée à rejoindre sa Porsche aux verres teintés, démarrant en trombe, fonçant vers un je ne sais où important. Phares défilant, moteurs ronronnant, éparpillement des gens, la rue reprend son rythme du soir.
Le blondinet à la barbe naissante m’observait. Sans rien dire. Coupe à la Kurt Cobain, sourire espiègle, une vieille gabardine militaire sur le dos, quelques grosses bagues aux doigts. Un casque à la main. Un peu chelou. ―
Quelque chose me disait que je l’avais déjà vu. Mais où ? Impossible de me rappeler. ―
Il s’est gratté la tête et m’a lancé :
On se boit un verre ? Ça te branche ?
Ouais peut-être, je sais pas... je devrais plutôt rentrer.
Allez a-t-il repris, je crois que t’en as besoin. T’as vraiment l’air d’une ahurie. Et puis faudrait peut-être qu’on fasse connaissance quand même a-t-il ajouté les yeux brillant de malice.
Alors je lui ai emboîté le pas.
(c) S. Chaouche/TFM 2017